? : Parlez nous de vos débuts en peinture.

JW : J'ai commencé très tôt à m'intéresser au dessin. Lorsque j'avais 10 ans, après pas mal de déplacements, ma famille s'est installée à Karlsruhe, en Allemagne. A 16 ans, j'ai voulu m'inscrire aux Beaux-Arts de cette ville. Mes parents s'y sont opposés. Alors j'ai pris une série de pastels sous le bras et j'ai été voir le directeur de l'école. Karl Hubbuch m'a reçu ; on a étalé par terre tout ce que j'avais apporté. Je n'avais aucune formation, aucune culture plastique mais en voyant mes travaux, il a pris la responsabilité de m'inscrire. L'école n'avait pas eu d'élève aussi jeune depuis cent ans.

? : Etiez-vous déjà attiré par la Science Fiction ?

JW : Pas du tout. Ce que je faisais était assez expressionniste mais déjà coloré. J'ai toujours adoré les couleurs pures ; surtout pas les bruns, ni les gris. Ce devait être une intuition car ensuite je n'ai employé que les couleurs du spectre dans ma peinture.

? : Quand êtes-vous venu vous installer à Paris ?

JW : Je suis venu une première fois à Paris en 1956. Je suis rentré quelques mois à Karlsruhe pour revenir ici au printemps 1957. Et j'y suis resté pour toujours. J'avais 19 ans. Je me suis inscrit aux Beaux-Arts, en architecture. Paris, pour moi, c'était la liberté.

? : Mais vous avez beaucoup voyagé.

JW : Je suis allé au Moyen-Orient. Ensuite, j'ai parcouru l'Afrique... uniquement pour le plaisir de voyager. Je dessinais beaucoup pendant mes périples. Curieusement, ces dessins ne portent aucune trace de l'environnement ou des différentes culture que je côtoyais.

? : Quels sont les artistes qui vous ont influencés ?

JW : Je n'ai pas subi beaucoup d'influences, pourtant un peintre m'a fortement marqué, c'est Paul Klee ; la rencontre avec Wols a été importante. Quand j'étais aux Beaux-Arts, je voyais peu d'expositions. Par contre j'aimais les rétrospectives. Cela permet d'avoir une vue globale sur la démarche de l'artiste. Je me rappelle particulièrement les rétrospectives Henri Moore et Henri Laurens.

? : Par certains côtés votre peinture s'apparente au mouvement surréaliste. Vous aimez leurs oeuvres ?

JW : J'aime bien Tanguy et Chirico. Ce qui m'intéresse, c'est la métaphysique dans l'art. On trouve cette dimension chez Tanguy : son univers est un univers de méditation.

? : Votre oeuvre est une fantasmagorie du futur. Mais vous employez des supports traditionnels. Vous n'avez jamais été attiré par d'autres techniques ?

JW : En effet, je travaille avec des moyens classiques : la toile, les colorants naturels, l'huile et le pinceau. Comme Paul Klee, mon travail terminé, je nettoie mes instruments. Il n'y a pas de taches de peinture dans mon atelier. J'essaie de peindre avec des couleurs à l'huile, stables à la lumière. Bien sûr, je suis attiré par les techniques nouvelles comme l'holographie. J'ai déjà créé des images sur ordinateur, avec un synthétiseur ou une caméra. Mais c'est très coûteux et ce n'est pas vraiment là que se situe le problème. Ce qui m'intéresse, c'est le dessin. De concevoir un univers. Après le dessin je n'ai plus de surprise. Ce qui m'excite, c'est la création. L'application de la couleur n'est qu'un travail.

? : Vos thèmes se réfèrent toujours à l'avenir ?

JW : Le présent ne m'intéresse pas. Je le vis. Ce qui est excitant, c'est le futur. Je rêve. Ca devient un peu métaphysique.

? : Je suis frappé par l'omniprésence de l'oeil dans vos toiles. Un peu comme chez Odilon Redon. En psychanalyse, la représentation de l'oeil est chargée de sens. Pouvez-vous établir un lien oeil-subconscient dans votre oeuvre ?

JW : Odilon Redon a été influencé par la magie, les récits fantastiques des écrivains romantiques anglais. J'aime bien ce qu'il fait. Chez moi, l'oeil n'a pas de sens particulier. Certains de mes personnages ont les yeux fermés. C'est une façon pour moi d'organiser ma toile.

? : Vous reconnaissez-vous dans le mouvement de la Science Fiction actuel ?

JW : J'étais lecteur de Science Fiction. Je n'en lis plus sauf de temps en temps un conte de Bradbury. J'ai participé à des congrès internationaux de Science Fiction. J'ai eu le premier prix à Boston en 1971, à la " World Science Fiction Convention " . Mais j'ai horreur du terme " Science Fiction " . C'est terriblement galvaudé. On classe dans " Science Fiction " des artistes qui relèvent du fantastique. Un peintre comme Giger ne fait pas de Science Fiction mais du macabre délirant ; Ron Walotski est beaucoup trop réaliste lorsqu'il représente un personnage allant sur la Lune. Aujourd'hui, la Science Fiction manque de poésie ; elle est devenue " politique-fiction " . Je ne considère pas que j'appartiens à un mouvement de Science Fiction. Je me classe en tant qu'original. J'ai ouvert ma galerie en 1977 ; c'est un très bel espace et, ici, j'ai pu rassembler des peintres qui ont un peu le même univers que moi : Bruss, Bartoli, Decas, Modlinger...

? : Vous avez peint toute une série " Explorateurs " qui va de l'an 2 400 à l'an 100 000. Qu'avez-vous voulu montrer ?

JW : La transformation de l'être humain à travers les millénaires, le temps qui passe. C'est la vision poétique et philosophique des temps futurs qui m'intéresse.

? : Comment les gens réagissent-ils devant vos toiles ?

JW : Ils aiment le dessin, le rythme, la couleur. Mais ma démarche leur est étrangère. Je suis incompris. Mon univers est si particulier.

Février 1985